HISTOIRE : QUELQUES GRANDS  VOYANTS

 

Alexis Didier
(1826-1886)

De tous les « somnambules magnétiques » qui défrayèrent la chronique au milieu du XIX° siècle, Alexis Didier (1826-1886), plus connu comme le « somnambule Alexis », fut, à juste titre, le plus renommé, et le plus étonnant. On a dit de lui, le jour de ses obsèques, qu’il fut le plus grand clairvoyant des temps modernes, et cette réputation n’est pas usurpée. Fils d’un cordonnier, il acquit une réputation qui passa les frontières, et stupéfia par ses démonstrations les rois et les princes de l’Europe. D’abord ouvrier graveur, puis acteur dramatique, Alexis se consacra à la démonstration de ses dons, car il se voyait investi d’une sorte de mission : prouver par des moyens expérimentaux incontestables, en plein siècle du matérialisme, l’existence et la spiritualité de l’âme. Il se mit à la disposition de tous ceux qui désiraient voir à l’oeuvre la lucidité magnétique. Il se donna tellement à cette tâche qu’il épuisa une constitution fragile et, semble-t-il, s’y ruina la santé. Il mourut à Paris en 1886. Une fois plongé dans le sommeil magnétique, Alexis pouvait lire dans l’esprit de ses consultants, ou dans un livre fermé. Il pouvait se porter à distance dans un lieu inconnu pour en ramener des informations vérifiables. Il pouvait voir à travers un quadruple bandeau, prédire des événements futurs, ou encore raconter avec précision l’histoire d’un objet, et des personnes qui l’avaient possédé, ou bien avec lesquelles il avait été en contact. La lucidité qu’on lui prête était parfois si étonnante que la raison vacille à la lecture des rapports, et que les esprits les plus ouverts sont tentés par l’incrédulité. La seule explication alternative est que l’on avait affaire à un prestidigitateur exceptionnel qui disposait par ailleurs, à chaque séance, de comparses. Cette hypothèse fut évidemment envisagée, et pour la tester on fit appel au fameux Robert-Houdin, le maître des prestidigitateurs. Robert-Houdin rencontra deux fois Alexis en mai 1847. Venu avec l’idée qu’il allait épingler un escroc, il resta pantois et attesta par écrit que les phénomènes produits par le somnambule ne relevaient pas de son art. La réception que le monde intellectuel, et particulièrement les médecins et les psychologues, réservèrent à ce clairvoyant d’exception est un chapitre révélateur de l’histoire des idées, dont on trouvera le détail dans mon livre Un voyant prodigieux ( Les Empêcheurs de penser en rond, 2003). En Angleterre, où il fut convié en juin-juillet 1844 à donner des démonstrations pour un public choisi de médecins, d’écrivains et d’aristocrates, il déclencha une polémique féroce entre deux étoiles montantes de la médecine britannique, le docteur Elliotson et le docteur Forbes. En France, en revanche, il vint trop tard, puis qu’il commença à défrayer la chronique en 1842, juste après la clôture officielle de l’Académie de médecine ; de sorte que le monde savant n’eut pas à se confronter à ses dons présumés. Il fut donc pris en charge, si l’on peut dire, par des médecins dissidents, des écrivains, des juristes…Et l’historien peut aujourd’ hui observer un phénomène révélateur. Du vivant d’Alexis de nombreuses réfutations du somnambulisme magnétique furent écrites par des philosophes et des médecins positivistes. Mais, parmi les somnambules cités, on ne voit jamais le nom du plus célèbre d’entre eux. Tout se passe donc comme si la science positiviste avait cherché à esquiver le défi. Que penser de ce prodige ? la singularité des cibles qu’il parvenait à décrire, et la précision de ses descriptions, permettent d’éliminer l’hypothèse d’une suite continuelle de coups de chance. Elle permet aussi d’exclure, dans toute une série de cas, celle du captage dialogal. La quantité et la qualité sociale de ses consultants, qui appartenaient à la haute aristocratie, et parfois même aux cours européennes, conduit enfin à exclure l’hypothèse du compérage. Aussi la balance penche-t-elle en faveur de la clairvoyance magnétique. Et l’on ne peut que regretter que l’Académie de médecine n’ait pas essayé de tester les dons de ce jeune prodige, malgré la demande écrite et publique qui lui fut faite à plusieurs reprises par son magétiseur. Une occasion de plus de sonder les potentialités cachées de l’être humain a ainsi été perdue.

Eileen J. GARRETT
(1893-1970)

Médium irlandaise, elle vécut la majeure partie de sa vie aux Etats-Unis et fonda, en 1951, l’un des plus importants organismes de parapsychologie du monde, la Parapsycholoy Foundation (organisme de financements et de publications). Ses capacités psi furent étudiées par des scientifiques tels que RHINE et PROGROFF. Bien qu’elle procédait par des techniques spirites lors de ses expériences de clairvoyance, elle restait néanmoins sceptique quant à la véritable nature des informations extrasensorielles qu’elle recevait. Le 7 octobre 1930, au National Laboratory of Psychical Research, soit deux jours après la tragédie aérienne du R101, Eileen GARRET,  » possédée  » par l’entité du commandant de bord, donna des détails précis de l’accident. Détails exacts que les autorités militaires ne purent confirmer qu’après l’enquête officielle.

Emmanuel Swedenborg
(1688-1772)

Pour évaluer l’extraordinaire figure de Swedenborg, il ne faut pas dissocier le savant du visionnaire et du voyant, comme on le fait aujourd’hui. Né le 29 janvier 1688 à Stockholm, Emmanuel Swedberg – plus connu sous le nom de Swedenborg qu’il portera après son ennoblissement – fut un génie universel qui porta sa marque dans plusieurs domaines du savoir. Polyglotte, il maîtrise une dizaine de langues, dont l’hébreu et l’araméen. Physicien, il préfigure l’atomisme et la théorie ondulatoire de la lumière ; astronome, il imagine un modèle de la formation du système solaire ; ingénieur, il dessine une machine propulsée par la vapeur, un engin volant propulsé par hélice, un sous-marin, un nouveau type d’écluse, un fusil à air comprimé… Il entreprend également une oeuvre écrite qui couvre aussi bien les sciences que la philosophie. Mais cette activité débordante cohabite chez lui avec une sensibilité mystique qui va s’amplifier au cours des années. Vers 1736, il est saisi par des états de ravissement spontanés dans lesquels des esprits lui apparaissent. Cela ne l’empêche pas de continuer des travaux de géologie, et d’élaborer une théorie de l’esprit dans laquelle il pressent le rôle du cortex. En 1741, il est élu à l’Académie Royale des sciences de Stockholm. En 1743, il une illumination qui va réorienter sa vie. A partir de cette date, il développe la capacité de communiquer avec le monde des esprits, et conjointement, des dons de voyance. La seconde vue présente encore chez lui un double sens : elle est d’abord vision du monde spirituel, des hiérarchies angéliques ; mais elle se traduit aussi par la capacité d’obtenir des informations sur des réalités factuelles normalement cachées à nos sens. C’est ainsi que, le 19 juillet 1759, alors qu’il se trouve à Göteborg, il décrit devant un témoin l’incendie qui, au moment même, est en train de ravager Stockholm. Un peu plus tard, devant un autre témoin, il prévoit le jour de sa propre mort . En 1761, consulté par la princesse Louise-Ulrique, il révèle à cette dernière des informations d’ordre privé dont il ne pouvait avoir connaissance. Mais cette capacité de voyance stricto sensu lui est comme donnée de surcroît ; elle n’est pas encore cultivée pour elle même, comme elle le sera un siècle plus tard par le somnambule Alexis Didier, elle n’est pas dissociée de la dimension spirituelle. Comme l’écrit Balzac dans Séraphîta, « l’état de vision dans lequel Swedenborg se mettait à son gré, relativement aux choses de la terre, et qui étonna tous ceux qui l’approchèrent, par des effets merveilleux, n’était qu’une faible application de sa faculté de voir les cieux » . Au milieu du XVIII° siècle, on ne songe pas encore à recueillir méthodiquement les faits de voyance et à enquêter sur les conditions de leur production, comme on commencera à le faire un siècle plus tard. Il n’est donc pas toujours facile de séparer, dans les prodiges attribués à Swedenborg, ce qui relève du fait, et ce qui appartient à la légende. Kant a senti la faille. Dans Les Rêves d’un visionnaire, il s’en prend au visionnaire et au voyant suédois en insinuant que les faits sont insuffisamment attestés pour soutenir ses prétentions exorbitantes . Mais le philosophe a-t-il eu le dernier mot, comme l’affirme unanimement l’histoire de la philosophie ? Rien n’est moins sûr. D’une part, des faits analogues à ceux attribués à Swedenborg ont été observés dans des conditions contrôlées chez des voyants récents comme Ossowiecki ou Moneagle, et l’on se demande avec curiosité le parti qu’aurait pris Kant devant cette documentation. Mais d’autre part rien ne dit – cela s’est vu à plusieurs reprises – qu’une enquête nouvelle, menée avec un regard neuf, n’aboutirait pas à la conclusion qu’une partie des faits attribués au voyant suédois sont très probablement réels. Car c’ est un préjugé bien ancré que, lorsque la voyance est concernée, l’exigence historique doit toujours nécessairement aller dans le sens du scepticisme.

Gérard CROISET
(1910-1980)

Sur le voyant hollandais Gérard Croiset, on attend encore l’ étude exhaustive qui permettra de se faire une idée précise de l’étendue et de la réalité de ses pouvoirs ; mais une vaste documentation, et le témoignage de chercheurs qui l’ont approché et étudié, comme le parapsychologue allemand Hans Bender, qui le considérait comme le meilleur sujet qu’il lui ait été donné de tester, permettent déjà de cerner le personnage et surtout le modus operandi de sa clairvoyance. Gérard Croiset naît le 10 mai 1909 à Laren, dans le nord de la Hollande, dans une famille juive. Son père est acteur et sa mère costumière. L’enfant, tôt abandonné par ses parents, est balloté de foyer en foyer. Maladif et rachitique, il a tendance à se réfugier dans la rêverie. Très jeune, des rêves prémonitoires qui inquiètent son entourage et des éclairs de clairvoyance spontanés l’amènent à prendre conscience de sa différence. Commis de bureau, représentant, épicier, il cherche sa voie. Entre 1937 et 1940, des visions dont il ne comprend pas le sens lui annoncent l’invasion de la Hollande par une armée étrangère. A plusieurs personnes, il annonce des événements qu’elles vivront pendant une guerre encore inimaginable, et, à l’une d’elles, il décrit les deux blessures dans le dos qu’elle recevra effectivement. En 1940, les prophéties se réalisent et Croiset doit porter l’étoile jaune. Déporté par les Allemands, il parvient on ne sait trop comment à s’enfuir et à rentrer en Hollande, où, au dire des ses biographes, il met ses dons de clairvoyant au service de la résistance hollandaise. En 1945, en assistant à une conférence du professeur Tenhaeff, le Richet hollandais, il trouve enfin sa voie. A partir de ce moment , il va consacrer son existence à la démonstration des pouvoirs métagnomiques. Il devient clairvoyant professionnel et sa réputation passe les frontières. Il aide des fonctionnaires à récupérer des documents administratifs, des parents à retrouver leurs enfants, il collabore avec la police pour localiser les corps de disparus , notamment d’enfants noyés, très nombreux en Hollande à cause de la densité du réseau de canaux . Il excelle dans cette tâche, sans doute parce qu’à l’âge de huit ans il a lui même failli se noyer. Parallèlement, à partir de 1946, il collabore avec des chercheurs hollandais, suisses, et allemands pour qu’ils puissent tester ses dons. Lorsque l’on lit les biographies de Croiset, le parallèle avec Alexis Didier s’impose. Tout invite à comparer les deux clairvoyants : leur enfance malheureuse, leur ascension sociale, leur réputation internationale, leur côté à la fois fragile et cabotin, l’étendue, la précision et le mode de déploiement de leur clairvoyance. Comme Alexis, Croiset a en général besoin d’ un objet inducteur – photo, bague, gant, lettre, briquet, os, pierre, lambeau de vêtement, jouet – pour déclencher le processus métagnomique. Comme Alexis, il reçoit souvent ses clients en leur annonçant la raison pour laquelle ils viennent le consulter. Comme chez Alexis, le processus métagnomique se manifeste chez Croiset par des flux d’images qui se déploient par contiguité, puis finissent par se décanter pour le conduire vers des cibles qu’il évoque avec la plus grande précision. Les voyances de Croiset, avec leur précision, leur glissement soudain du sens figuré au sens propre, évoquent celles d’ Alexis Didier, et pourtant il y a peu de chances que l’autodidacte hollandais, qui ne lisait pas le français, ait jamais entendu parler d’un somnambule français disparu depuis un siècle. Croiset et Alexis ne sont que deux illustrations, certes remarquables, d’un modus operandi que l’on trouve chez de nombreux voyants.

Hella HAMMID
(1921-1992)

Photographe professionnelle américaine, d’origine allemande. Elle participa à partir de 1978 aux expériences de vision à distance (remote viewing), mises en place par H. PUTHOFF et R. TARG au SRI ( Stanford Research Center).Sa technique de vision à distance procède d’un sens très artistique, très visuel plus qu’analytique. Elle préfère bien plus souvent dessiner que décrire de manière détaillée. Le 16 juillet 1977, dans le cadre du SRI, Hella HAMMID tenta une expérience à bord d’un sous-marin de poche, immergé par 150 mètres de fond au large de la côte californienne, le but étant de tester si une telle masse d’eau constitue une barrière pour la vision à distance. La cible, bien évidemment inconnue d’Hella HAMMID a été tirée au sort par trois juges, lors de l’immersion du sous-marin. L’émetteur, sur la terre ferme, eut comme cible un gros chêne qu’Hella HAMMID réussit sans peine à décrire. Cinq expériences aux résultats très significatifs ont ainsi été menées avec la participation d’un autre clairvoyant, Ingo SWANN.

Photo dans l’ouvrage de Targ et Puthoff, « Aux confins de l’esprit ».

Ingo SWANN
(1933-2013)

Ecrivain américain, SWANN est considéré comme l’un des meilleurs sujets psi de sa génération. D’abord étudié en 1972 par G. SCHMEIDLER du City College de New-York pour ses capacités de psychokinèse, il collabora ensuite au SRI avec TARG et PUTHOFF tant sur des expériences de vision à distance (remote viewing) que sur des expériences de PK. Lors d’une des ces expériences PK, SWANN réussit à modifier le champ magnétique d’un magnétomètre (appareil servant à mesurer de faibles champs électromagnétiques) enfermé dans une chambre forte entièrement hermétique. Il stoppa même le fonctionnement de l’instrument pendant 45 secondes.

Photo dans l’ouvrage de Targ et Puthoff, « Aux confins de l’esprit ».


J.W. Mc MONEAGLE

(1946)

Médium américain et ancien officier de l’U.S. Army. Après une expérience de mort imminente, il se découvre de prodigieuses capacités de vision à distance. En 1977, il est recruté comme sous-officier pour participer au programme secret de la défense américaine : le projet Stargate. Cet espion-voyant au nom de code Viewer 001 a réussi plus de 200 missions et a fourni plus de 150 éléments essentiels d’information, transmis au plus haut niveau militaire et gouvernemental. Ce qui lui valut en 1984 la médaille de l’ordre du mérite ( » Legion of Merit « ). Il a en outre participé à plus de 4000 tests de vision à distance dans des conditions de laboratoire. Il est aujourd’hui à la tête d’une entreprise de prospection pour des instituts de recherche et des entreprises privées. Mc MONEAGLE fit notamment en 1987, une expérience de vision à distance au Cognitive Sciences Laboratory, dirigé alors par ED May. A l’aide de la photo d’un ingénieur, Mc MONEAGLE put décrire précisément la machine sur laquelle celui-ci travaillait (sa fonction, sa taille mais aussi son emplacement, etc.)

Leonora Piper
(1857-1950)

La médium Leonora Piper eut une grande renommée à la fin du XIX° siècle aux Etats-Unis et en Angleterre. Les phénomènes sidérant qu’elle produisait attiraient à ses séances des philosophes, des médecins, des savants, qui en sortaient bouleversés et transformés.

Née en 1859, à Nashua, dans le New Hampshire, dans une famille d’origine anglaise, Leonora Simonds épouse en 1881 William Piper, et s’installe à Boston, où son mari travaille dans un grand magazin. Rien ne semble prédestiner cette femme pragmatique, mère de deux enfants, à devenir la plus célèbre médium américaine ; et c’est un curieux épisode qui va révéler inopinément ses aptitudes psychiques. En 1884, elle se heurte à un traîneau, et, à la suite de cet incident, elle se trouve atteinte d’ une tumeur qu’elle craint cancéreuse. Ses parents l’envoient alors consulter un psychic healer, un médium aveugle nommé J.R. Cocke et pendant la consultation elle perd connaissance quelques instants. Pendant la séance suivante, elle tombe en transe et fait passer un message écrit contenant des informations apparemment exactes sur l’une des personnes présentes. Après quoi, elle est sollicitée un peu partout pour des séances. Au début, elle se borne à donner des conseils médicaux, puis, très vite, elle va se mettre à répondre aux questions que lui posent les assistants, et à leur révéler des détails intimes qu’ ils sont seuls à pouvoir connaître. Sa réputation parvient ainsi jusqu’à Mrs. Gibbens, la belle-mère du philosophe William James. Cette dernière, venue consulter Leonora, pose une lettre sur son front ; et elle a la surprise d’entendre la médium lui donner aussitôt le nom de son auteur. C’est ainsi que William James va se trouver impliqué dans l’étude de la plus fameuse médium américaine. Venu incognito, il va entendre la médium lui révéler d’improbables détails concernant sa vie privée. Ces séances emportent la conviction de James ; il présente Leonora à l’American Society for Psychical Research (ASPR) , et les travaux commencent. Ils dureront plus de quinze ans. La société savante américaine va se ruiner pour inviter les chercheurs britanniques de la S.P.R., elle payera pendant quinze ans le juriste anglais Hodgson pour chapeauter la médium et filtrer ses visiteurs ; et elle engagera des sténographes pour transcrire mot à mot les dialogues des séances. La plupart des chercheurs qui, à Harvard et Cambridge, s’intéressent aux phénomènes de la transe et du somnambulisme vont rencontrer Leonora Piper et participer à des séances sous des identités d’emprunt. Myers, Arthur et Eleanor Sidgwick, Balfour, Bowditch, Hyslop, Pickering, Putnam, Prince, Mitchell, Peirce, Eliot, Lodge, vont défiler au chevet de l’oracle. Les dons présumés de la médium vont ainsi faire l’objet d’une étude approfondie, probablement sans équivalent dans l’histoire des recherches psychiques, au point de vue qualitatif comme au point de vue quantitatif. (Eugene Taylor, William James, Princeton University Press, 1986, pp. 46 sq. ) Le bilan de ces travaux est impressionnant. Ce n’ est pas de façon sporadique que Mrs Piper a transmis des informations métagnomiques. C’est de façon régulière, presque à chaque séance. La lecture du volumineux dossier de 650 pages que lui a consacré Hyslop montre ainsi qu’elle a nommé correctement pendant ses transes plus de deux cents personnes inconnues d’elle. Si l’on veut exclure ici tout recours à la lucidité, il faut supposer qu’Eleonor Piper bénéficiait d’informateurs et que ces derniers étaient de mèche avec Hodgson. Bien que l’hypothèse fût difficilement crédible, les chercheurs de la S.P.R. britannique ont cherché à la tester. Ils ont fait surveiller la médium et sa famille par un détective privé. Mais ces investigations n’ont rien donné. Alors, pour la couper de son cadre de vie habituel et de ses proches, ils l’on invitée à venir seule en Angleterre. Ses rencontres pouvaient ainsi être strictement contrôlées. Malgré toutes ces précautions, les phénomènes ont continué ; ils ont même été plus nets. Il ne subsiste donc aucun doute sur la réalité des phénomènes métagnomiques attribués à Leonora Piper.


Pascal FORTHUNY
(1872-1962)

Cultivé, polyglotte, le peintre Pascal Cochet, plus connu sous le nom de Pascal Forthuny (1882- 1962) ne cadre pas avec le profil assez courant du voyant autodidacte. Il s’intéresse à la métapsychique et fait partie de la mouvance de l’Institut ; mais il ignore le don qui sommeille en lui et c’est une circonstance fortuite qui va le lui révéler. En 1920, il assiste à l’IMI comme spectateur à une démonstration de voyance. Mme Geley, l’épouse du président de l’ Institut, assise à côté de lui, lui montre un éventail, et lui demande en plaisantant : « D’où vient cet éventail ? » Forthuny se prend au jeu et répond : « J’ai l’impression d’étouffer et j’entends à côté de moi : Elisa. » A la stupéfaction de madame Geley, la réponse s’avère exacte : l’objet appartenait à une dame morte d’une maladie pulmonaire, qui se prénommait effectivement Elisa. Qui plus est, la malade avait l’habitude d’agiter cet éventail devant sa bouche pour aider une respiration difficile. Interloquée, Mme Geley va chercher une canne et met au défi le voyant improvisé de lui restituer son histoire singulière. Forthuny, continuant sur le mode de la plaisanterie, et toujours pas convaincu de posséder un don particulier, risque une réponse : la canne en question a appartenu à un jeune marin dont le bateau a été torpillé pendant la guerre et qui est mort à la suite du naufrage. Cela ne s’invente pas – et c’est la bonne réponse. Le romancier vient de faire son entrée au club très sélect des grands clairvoyants. Dans les années qui vont suivre, de 1924 à 1927, il va donner à l’IMI d’étonnantes séances publiques. Pendant que les invités arrivent, le voyant s’isole et se concentre dans une pièce à l’étage supérieur. Quand le public (une centaine de personnes en moyenne) est installé, Forthuny entre dans la salle et toise les assistants. Il peut ne rien se passer, mais c’est très rare. En général, il « accroche » une moyenne de sept à huit personnes par séance, et, deux fois sur trois, révèle sur elles des informations totalement ou partiellement exactes. Sa prédilection va aux étrangers, aux gens de passage à Paris, parce qu’ils stimulent sa curiosité. Quand il a accroché une personne, Forthuny entre aussitôt dans une courte transe, et une voix intérieure lui donne un nom, une phrase, ou bien une image s’impose à lui. Il lui arrive alors de dévoiler des informations exactes sur cette personne, à commencer par son nom, tout en les exprimant sous une forme métaphorique dont il ignore parfois le sens, du moins au début du processus mental. Ainsi, lors de la séance du 10 février 1926, il approche deux jeunes gens, et un mot jaillit dans son esprit : « Cardinal ». Alors le processus s’enclenche : « Cardinal ? Vous êtes deux pour qui va le mot cardinal (…). Vous maniez une matière lumineuse explosive ? Vous ne faites pas de la poudre pourtant ! (…) Vous faites une poudre terrible ! Cardinal ! Vous faites de la poudre pour faire sauter les cardinaux ? Cardinal de curie ! » On apprend alors que les jeunes gens sont des étudiants de Marie Curie, qui travaillent à l’Institut du radium. ( Eugène Osty, Pascal Forthuny, p. 76) Cette voyance est déjà assez étonnante, mais il faut préciser que sa portée réelle échappe aux hommes de 1926. En effet, Forthuny voit une pièce avec des éprouvettes de chimie, où se trouve « une dame grave, amère, sévère(…), une mystique, mais quelle jolie mystique » ; et surtout, à plusieurs reprises, il insiste sur l’idée d’une explosion. Osty ne commente pas ce point, pour la bonne raison qu’en 1926 on ne suspectait pas encore les futurs débouchés « explosifs » de la découverte des Curie. Quoiqu’il en soit, cet exemple résume ce qui se déploie chez le clairvoyant : ce dernier ne reste pas passif devant le flot d’impressions qui le submergent ; l’entraînement aidant, il parvient à analyser ses propres processus mentaux, et, de leur gangue métaphorique, à tirer parfois, en quelques instants, l’information qu’elle recèle ; pour reprendre la distinction proposée par Platon, il condense le rôle du devin et celui du prophète ; il associe de façon ludique sur les images qui lui viennent, les utilise comme un matériel transitionnel, et en même temps, tente de décrypter ses associations, dans une sorte de dédoublement ironique par rapport à ses propres fantasmes. C’est pendant une séance de ce genre qu’ André Breton, le 7 janvier 1927, sera « accroché » par Forthuny, circonstance qui ne sera pas sans laisser sa marque dans les textes du maître.

Stephan OSSOWIECKI
(1877-1944)

L’ingénieur polonais Stephan Ossowiecki ( né en 1877) fut, dans les années vingt, un des clairvoyants les plus doués et les plus étudiés par les métapsychistes. Sa grand-mère paternelle était renommée dans son entourage pour son don de lucidité, sa mère et l’un de ses frères le possédaient aussi, et dès l’enfance, il s’aperçut qu’il était capable en jouant de deviner les pensées de ses camarades. D’après les éléments biographiques qui nous ont été rapportés par le docteur Geley dans son livre L’ectoplasmie et la clairvoyance, le jeune polonais suit des études d’ingénieur en Russie à Pétrograd et commence à faire parler de ses étranges capacités. Dans son école, on demande au candidat, le jour de l’examen, de tirer au sort un sujet parmi des enveloppes cachetées, et Ossowiecki, à la stupéfaction de ses professeurs, parvient à répondre aux questions sans ouvrir les enveloppes. Sa réputation de clairvoyant se répand en Pologne, où Richet le rencontre en 1921. En 1923, L’Institut métapsychique l’invite à Paris pour étudier ses facultés métagnomiques. Dans des conditions de contrôle très strictes, il déchiffre des textes placés dans des enveloppes cachetées et reproduit avec exactitude des dessins qu’on y a glissés. Par exemple, parmi d’autres expériences de ce genre, on remet à Ossowiecki un papier glissé dans un tube de plomb. Les parois du tube ont trois centimètres d’épaisseur, et son ouverture est obturée par une soudure. La personne qui a préparé le tube est absente et aucune de celles qui assistent à l’expérience ne connaît son contenu. Ossowiecki prend le tube, le malaxe entre ses doigts, comme il le fait habituellement, puis déclare : « Un dessin, un homme qui a de grandes moustaches. Pas de nez. Il a un habit militaire. Il ressemble à Pilzudski. Cet homme n’ a peur de rien, c’est comme un chevalier ». C’est exactement ce que représente ce dessin, et, en dessous, il y a la légende suivante : Le chevalier sans peur et sans reproche. ( Charles Richet, Traité de métapsychique, Paris, 1922.) p. 218) Richet remarque qu’ invoquer le hasard ou la supercherie dans ce genre de circonstances est absurde. Mais Ossowiecki est également capable de lire à livre ouvert dans les pensées des personnes qu’ on lui présente, de leur révéler leur passé et leur avenir, et de retrouver des objets perdus ou volés. Pour atteindre l’état lucide, il doit au préalable, comme les somnambules magnétiques, se mettre dans un état de conscience spécial. Il s’efforce de ne penser à rien, de vider sa pensée ; l’arrivée de la transe est signalée par une sensation de chaleur et de gonflement dans la tête ; son visage s’empourpre ; son pouls bat à cent pulsations par minutes ; c’est alors qu’affluent, sous une forme hallucinatoire, les informations qu’on lui demande ; s’il doit par exemple lire une phrase écrite dans une lettre scellée, le texte lui apparaît comme s’il l’avait sous les yeux. Ossoviecki finira tragiquement, exécuté comme otage par les Allemands en 1944. ` Sur ce voyant exceptionnel, on ne connaissait guère jusqu’à présent que les expériences menées sur lui en France. Mais une équipe de la SPR dirigée par Mary Rose Barrington et Ian Stevenson vient de publier une biographie qui retrace sa vie, son contexte personnel, et évalue avec précision l’étendue et la précision de sa clairvoyance.( A World in a grain of Sand, Mac Farland, 2005). Les documents présentés par les Anglais sont pour la plupart inédits et donnent du voyant polonais et de ses dons une image nouvelle. Il n’y a guère qu’un Alexis Didier pour avoir exhibé, au XIX° siècle, une clairvoyance comparable ou supérieure. Mais il l’a fait dans un contexte où les conditions de contrôle étaient souvent insuffisantes, et il faut un travail historique pour faire parler les documents. Dans la première moitié du XIX° siècle, les conditions de contrôle se sont améliorée, les faits sont mieux assurés ; ce qui permet aux chercheurs anglais de conclure qu’Ossowiecki, de tous les grands clairvoyants du passé, celui qui a été le mieux étudié.